Je n’ai pas été assez clair dans mon dernier billet, donc voici quelques petites précisions :

(1) La couleur des liens indique leur direction (les liens sortants ont la même couleur que le noeud dont ils sortent). On voit ainsi que le blog de Ch. Bricman a de nombreux liens sortants [et réciproques].  En théorie des graphes, on appelle ça un « hub« . Mais un hub n’est pas nécessairement une autorité, c’est-à-dire qu’il ne possède pas nécessairement le plus grand nombre de « liens entrants ».

(2) La taille des points (centralité) indique quant à elle le nombre de fois qu’une personne apparaît sur les chemins (courts) qui parcourent le réseau (average shortest path), tous chemins confondus (les liens entrants mais aussi les liens sortant). C’est là une information importante, mais qui n’indique pas grand chose d’autre que la capacité des acteurs à employer des hyperliens pour citer de nombreux autres membres du réseau.

(3) Par ailleurs – comme on l’a fait remarquer ce matin – il y a des journaux en ligne qui citent des blogs sans utiliser le moindre hyperlien : il est nécessaire de revoir ce travail de mapping en intégrant les médias traditionnels dans l’analyse. Je crois  d’ailleurs que c’est un travail qui a récemment été initié par une doctorante de l’ULB (J. De Maeyer).

Pour une introduction à Navicrawler, c’est ici.

Et pour un introduction à Gephi 0.7, c’est ici

Pour ceux que ça intéresse, voici une carte de la blogosphère journalistique belge francophone.

(1) Le blog le plus central, celui qui apparaît le plus souvent sur les chemins les plus courts (entre les différents points du réseau) est celui de Charles Bricman. Viennent ensuite les plateformes de la Libre Belgique et du Soir (Politic Twist et  Saga Belgica). En dehors de ces deux plateformes, les blogs des journaux sont plutôt isolés (cf. bas de graphe) : La Libre Belgique a un grand nombre de blogs, mais qui restent assez peu connectés au reste de la blogosphère.

(2) On observe aussi une séparation gauche / droite : Les blogs de gauche et les blogs relatifs aux questions de minorités sont concentrés en haut du graphe. Les blogs libéraux sont plus éparpiés (Grand Barnum, On Vote Pour Eux …).

(3) On voit enfin que les sites plus fréquentés ne sont pas nécessairement les sites les plus centraux et les mieux connectés. Des sites fort fréquentés – comme « Parlemento » de Mehmet Koksal, le blog de Marcel Sel, ou de Henri Goldman – passent presque inaperçus au sein du graphe…


Au début, quand j’expliquais le sujet de ma recherche , j’étais souvent surpris de la réaction de mes interlocuteurs. “Ah bon ?, “C’est possible d’écrire une thèse là-dessus?”. Cette perplexité, je suppose qu’elle vient du fait que la plupart des gens s’imaginent que l’expression en ligne est une chose arbitraire. Il la perçoivent comme le vague résultat d’un ensemble d’égos agglutinés ou une masse incompréhensible et indéfinissable de paroles aléatoires. Dans ce billet, je vais tenter de vous représenter les formes d’expression en ligne autrement… comme un système complexe (cf. René Doursat, David Chavalarias).

Un système complexe c’est (1) un ensemble d’agents ou d’unités élémentaires en interaction les unes avec les autres. Chacune de ses unités produit un (2) comportement, qui, localement, affecte celui des autres entités. A plus large échelle, (3) de nouveaux phénomènes peuvent émerger de ces entités en interaction, et cela sans qu’aucun agent – sans qu’aucune unité élémentaire – n’ait eu une vue de l’ensemble du système, et sans qu’aucun ordre ne se soit donc imposé de l’extérieur. Il y a, en d’autres termes, un phénomène d’émergence spontanée (vs. réflexive) qui se produit.

Notre environnement est rempli de ces systèmes complexes, des systèmes moléculaires aux systèmes économiques en passant par les colonies d’insectes sociaux. Si les entités élémentaires de ces systèmes parviennent à coordonner leurs actions, c’est grâce à des balises, à des traces, qu’elles laissent derrière elles (systèmes stigmergiques).  Si je vous parle de tout ça c’est parce que les systèmes d’information – les rumeurs, les réseaux de presse, Internet, la blogosphère – procèdent de la même logique. Le Web est un système complexe, lequel entretient des liens d’isomorphisme avec les systèmes susmentionnés …

Avec l’étude des systèmes complexes, c’est en fait la distinction naturel-artificiel qui s’estompe. Bien que l’on puisse toujours distinguer, d’un côté, les systèmes affectés d’une intervention humaine, et de l’autre, les systèmes qui ne le sont pas, bien que l’on soit toujours en droit de souligner le caractère artificiel des systèmes sociaux et techno-sociaux – comme les systèmes monétaire, auto-routier ou aérien – on s’aperçoit qu’à certains niveaux d’observation, cette distinction perd de sa pertinence, car on voit des phénomènes émerger spontanément d’agrégats de comportements humains : la circulation aérienne suit par exemple la distribution de la loi de puissance, les échanges au sein de la blogosphère suit le principe de Pareto etc.

Bref, l’étude des systèmes complexes nous place, nous êtres humains, dans une position fort inhabituelle, à partir de laquelle nous sommes forcés d’admettre que des phénomènes spontanés, ou naturels, émergent des actions volontaires (« artificielles ») des acteurs sociaux. Bien qu’il ait été créé par les hommes, le Web – avec son réseau IP et ses réseaux sémantiques – a lui aussi un certain nombre propriétés émergentes, des propriétés qui n’étaient pas prévues par les ingénieurs qui ont conçu le système : on voit des phénomènes de regroupements sociaux, d’encombrement, de rupture du réseau, de synchronisation et des effets d’entraînement (c’est-à-dire des phénomènes où, par effet de feedback, de plus en plus individus s’intéressent à un sujet en raison de l’intérêt qu’il suscite auprès des autres agents).

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Quelques liens utiles:

http://www.franceculture.com/emission-place-de-la-toile-le-web-et-la-complexit%C3%A9-23-ce-qu-internet-change-%C3%A0-notre-fa%C3%A7on-de-penser-

http://doursat.free.fr/

http://cssociety.org/tiki-index.php

http://complexityblog.com/